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Les Nouveaux Barmakides : L’Occident reproduit-il la tragédie abbasside ?

Ce qui se passe aujourd’hui avec le Hezbollah rappelle la tragédie des Barmakides à l’époque abbasside. Haroun al-Rachid ne les a pas éliminés parce qu’ils étaient « Perses » ou « Mazdéens », mais parce qu’ils étaient devenus une force scientifique et intellectuelle influente qui menaçait la structure du pouvoir traditionnel, et avaient créé un débat philosophique avancé. Leur influence étendue et le fait qu’ils aient retiré le tapis sous les pieds du pouvoir a précipité leur chute. Aujourd’hui, le scénario se répète avec le Hezbollah ; sa diabolisation ne provient pas du fait qu’il soit un « parti terroriste », ou un « fidèle à la wilayat al-faqih », ou un « trafiquant de Captagon » comme certains le prétendent, mais parce qu’il est une force de résistance indépendante qui défie la volonté occidentale et porte un projet de libération respectant la spécificité et l’identité de cette région.

L’Occident ne veut pas d’une force indépendante en Orient, mais cherche à occidentaliser toutes les cultures dans un même moule, plus facile à contrôler. L’objectif n’est pas seulement la domination politique et économique, mais la prise de contrôle de la mémoire et de l’identité, via un projet colonial qui consolide l’existence de la Grande Israël comme une réalité incontournable. La modernité et le progrès technologique, au lieu de renforcer l’homme, ont contribué à le vider de ses valeurs, à en faire un individu étranger à lui-même, privé de décision et des vrais outils du progrès.

Aujourd’hui, nous faisons face à des peuples fabriqués et façonnés dans les grandes salles de contrôle occidentales, à travers des outils doux : intelligence artificielle, réseaux sociaux, médias orientés, et technologies numériques. Des peuples conduits, non pensants, activés émotionnellement mais pas intellectuellement, selon ce que la littérature moderne appelle la « théorie du troupeau ».

Le discours récemment proposé par notre collègue, le journaliste Walid Abboud, concernant le Hezbollah, était formellement beau, mais dépourvu de contenu. Il ne touche pas à la vérité ni au cœur de la crise, mais traite des outils de la crise et non de ses instigateurs. Il est adressé à la victime et non au bourreau.

Qui a créé Khomeiny ? Qui a orchestré le coup d’État contre le Shah et Mossadegh ? Les documents de la CIA témoignent toujours des rôles des services secrets qui ont établi un régime alternatif en Iran, préparant ensuite la division de l’Irak et l’approfondissement du clivage confessionnel entre sunnites et chiites, causant une destruction énorme des tissus sociaux arabes.

Qui a permis l’expansion du Hezbollah au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen ? Qui a dessiné cette carte du chaos régional ? Qui a légitimé le confessionnalisme pour en faire un outil de fragmentation ? C’est précisément l’Occident, qui prétend combattre « le terrorisme », alors qu’il l’a créé, nourri et armé.

Par ses instruments culturels et médiatiques, l’Occident a su retourner les vérités, employer les notions d’« terrorisme », de « mercenariat » et de « libertés » au service de son projet, pour éliminer tout projet arabe véritablement libérateur.

Et lorsque la discussion porte sur l’arme du Hezbollah, il faut comprendre que ceux qui veulent la démanteler sont les Américains et les Israéliens, non par souci pour le Liban, mais parce qu’ils craignent une force qui, comme le 7 octobre, a dévoilé l’hypocrisie des valeurs occidentales et l’incohérence du discours occidental sur les droits humains, particulièrement ceux du peuple palestinien.

Le grand objectif de l’Occident n’a jamais été notre progrès, mais l’extinction de toute naissance intellectuelle ou politique arabe. Étouffer le projet national, frapper l’unité, imposer une paix factice sans conditions justes ni égalité, dans laquelle nous sommes condamnés à être des suiveurs et des esclaves d’un système colonial contemporain.

Je suis chrétienne maronite d’une société décrite comme sectaire. Pourtant, ce discours ne me représente pas. Il est simplement non patriotique, inhumain et partial. L’Occident, qu’on nous présente comme un sauveur, a en réalité voulu effacer notre identité, déformer notre existence, et nous noyer dans des divisions sectaires et des crises artificielles.

Je m’attendais à un discours intellectuel sérieux qui ouvrirait une véritable fenêtre de dialogue entre l’Orient et l’Occident, entre l’islam, le christianisme et le judaïsme, et non à la reproduction d’un discours orientaliste malade, saturé de haine et de racisme, qui ressasse la même rengaine sur le Hezbollah, oubliant que les États-Unis eux-mêmes ont commis les pires actes de terrorisme : de l’extermination des Indiens d’Amérique aux guerres en Irak, au démantèlement du Soudan, à la déstabilisation de la Libye et au soutien à l’occupation.

Si la force est le critère de légitimité, la carte de sécurité a changé et le monde est désormais multipolaire. Et si l’on parle de terrorisme en tant qu’idéologie, alors le traitement doit commencer à la racine, dans les sphères intellectuelles, culturelles et sociales, non dans ses manifestations superficielles.

Le véritable courage n’est pas de répéter le discours occidental préfabriqué, mais de révéler l’injustice, le colonialisme nouveau, et de protéger les peuples contre leur exploitation, leur épuisement et leur instrumentalisation les uns contre les autres.

Mon engagement en faveur des causes arabes et musulmanes n’est ni sectaire ni religieux, mais moral, patriotique et humain.

Assez de falsification des faits, assez de blanchiment des bourreaux, assez d’esclavage sous les slogans de la liberté.

Par Ornella Sukkar

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