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Empire de l’Opium : Choc des civilisations ou guerres de narratifs ?

Par Ornella Sukkar
Au cours des deux dernières décennies, un phénomène inédit a révélé l’ampleur des transformations dans la relation de l’Occident avec le monde non occidental. On peut l’appeler l’orientalisme sanitaire, c’est-à-dire la transformation du corps oriental, arabe, musulman ou africain, en objet d’un discours médico-politique où science et pouvoir, recherche et idéologie, médecine et néocolonialisme se confondent.
Si l’orientalisme classique présentait l’Orient comme un espace d’étrangeté, de religion, d’émotion et de retard politique, l’orientalisme sanitaire le montre comme un réservoir de maladies, un environnement de danger biologique et une source de menace pour la santé mondiale.
Ainsi, le corps oriental devient un « corps surveillé » avant même d’être un corps malade.
Cette approche révèle que la question n’est plus :
Vivons-nous un choc des civilisations ?
mais plutôt :
Sommes-nous les victimes de guerres de narratifs orchestrées par les centres de pouvoir sanitaire, scientifique et médiatique de l’Occident ?
1. De l’orientalisme culturel à l’orientalisme sanitaire
Le discours occidental ne se contente plus de redéfinir l’Orient par la religion, la politique ou l’histoire ; il le redéfinit à travers le corps, et plus précisément par :
Les maladies
Les normes de santé publique
La qualité des systèmes médicaux
Le comportement des sociétés face aux épidémies
Les niveaux de pauvreté, de pollution et de retard sanitaire
Cette transformation n’est pas le fruit du hasard.
Avec la mondialisation, le corps lui-même devient un champ de bataille.
Avec la montée des grandes entreprises pharmaceutiques, la maladie devient une industrie – un marché – un capital – un pouvoir – et un outil politique.
L’orientalisme sanitaire comporte trois éléments fondamentaux :
La production d’un stéréotype du corps oriental comme fragile, vulnérable et nécessitant toujours un « sauvetage » occidental.
La commercialisation de la supériorité médicale occidentale comme partie intégrante de la supériorité civilisationnelle.
L’utilisation du discours sanitaire comme arme douce pour imposer des politiques économiques et culturelles.
Ainsi, la médecine devient une extension du pouvoir, comme l’a expliqué Michel Foucault avec le concept de Biopouvoir, contrôlant la vie et la mort à travers la science, le médicament et les normes sanitaires.
2. La fabrication de la maladie… quand le médicament devient partie du problème
De nombreuses études, dont les travaux de Marcia Angell, le livre Empire of Pain et les enquêtes de Peter Doshi dans The BMJ, ont révélé la manipulation structurelle exercée par les grandes entreprises pharmaceutiques :
Conception des essais cliniques
Publication sélective des données
Exagération des bénéfices des médicaments
Masquage des effets secondaires
Fabrication de « maladies » à des fins commerciales
Transformation de la prévention en marché, et de la peur en économie
Le Disease Mongering n’est pas une simple théorie du complot, mais une réalité documentée par des scandales mondiaux :
Le scandale de l’OxyContin et des opioïdes
Les scandales liés aux vaccins avec informations cachées
La manipulation des résultats des essais en faveur des entreprises
La paradoxale évidence est la suivante : l’Occident qui dépeint l’Orient comme source de maladie est le même qui fabrique des marchés de maladies à travers des médias et des recherches médicales orientées, motivé par une idéologie raciale et coloniale encore vivace aujourd’hui.
Cela inclut :
Les expériences sur la syphilis
Les tests de pénicilline
Les programmes d’enquêtes gynécologiques menés par les puissances coloniales, britanniques et françaises, présentant les femmes comme des « vecteurs » pour les soldats
Ces pratiques étaient souvent de nature sexuelle et raciale, représentant la femme africaine comme une menace sexuelle pour l’homme blanc.
3. La médecine comme narratif… pas seulement comme science
Les narratifs sanitaires ne sont jamais neutres.
La médecine devient :
Un discours culturel
Une image politique
Une stratégie économique
Une norme civilisationnelle
Un outil de domination
La maladie n’est plus un simple événement biologique, mais une histoire racontée :
Qui détermine le « danger mondial » ?
Qui décide de ce qui constitue une « pandémie » ?
Qui s’arroge le droit de fermer ou d’ouvrir le monde ?
Qui contrôle la définition de la « santé » ?
Qui a le droit de diffuser la peur via les médias ?
Ces questions ne sont pas seulement scientifiques : elles sont fondamentalement narratives. La maladie est définie autant qu’elle est racontée.
4. Choc des civilisations ou guerre des narratifs ?
À la lumière des pandémies et des scandales pharmaceutiques, la question centrale n’est pas un choc civilisationnel, mais :
Qui possède le narratif de la maladie ?
Qui a le droit de définir :
Le « malade » ?
Le « vecteur » ?
Le « responsable » ?
L’« ignorant » ?
La « victime » ?
Le choc des civilisations suppose un affrontement de valeurs et de cultures.
Aujourd’hui, la confrontation se fait via :
Les données
Les bulletins de l’OMS
La presse scientifique
Les entreprises pharmaceutiques
Les campagnes sanitaires ciblées
Les médias financés
C’est une guerre de récits :
L’Occident raconte l’histoire de « l’Orient malade »
L’Orient fait face à des accusations sans pouvoir y répondre
Le récit médiatiquement le plus fort devient « la vérité »
Ainsi naissent les guerres de narratifs comme nouvelle dimension du conflit entre peuples et civilisations.
5. Le narratif sanitaire comme instrument de néocolonialisme
Lorsqu’un pays est classé comme :
« foyer épidémique »
« zone de risque sanitaire »
« société non conforme aux directives »
L’Occident exerce alors :
Restriction des voyages
Imposition de politiques sanitaires
Restrictions économiques
Contrôle des systèmes de surveillance
Supervision des vaccins et médicaments
La médecine devient alors un colonialisme sans armée, le laboratoire un centre de souveraineté, et le médicament un outil de pouvoir politique.
6. Pourquoi l’Orient a perdu son narratif sanitaire
Parce qu’il :
Ne dispose pas de centres de recherche indépendants du financement occidental
Ne possède pas d’industrie pharmaceutique mondiale concurrente
Ne dispose pas d’un média scientifique influent
N’a pas de narratif unifié sur son histoire sanitaire
Ne répond pas à l’orientalisme médical par un discours scientifique solide
Ainsi, le récit occidental sur le « corps oriental » est accepté mondialement, même biaisé.
7. Vers un narratif sanitaire alternatif
Pour ne plus être un simple « corps sous surveillance », l’Orient a besoin de :
Centres de réflexion sanitaire indépendants
Discours scientifique autonome
Critique méthodique de l’orientalisme médical
Recherche autonome
Projet pharmaceutique arabe–musulman indépendant
Médias scientifiques capables de gérer le narratif consciemment
Se libérer des narratifs sanitaires est aussi crucial que la libération politique.
Conclusion
Ce que nous vivons aujourd’hui n’est pas un choc entre Orient et Occident au sens classique, mais une guerre sur le corps et la vérité, selon un imaginaire occidental exagéré qui transforme l’Autre en terrain d’expérimentation humaine, tout en se positionnant comme « sauveur mondial » et unique civilisation, via une ingénierie qui soumet la conscience à une programmation quasi invisible.
Entre un récit contrôlé par le pouvoir et un récit défensif, idéologique et justificateur, l’Orient peine à faire face aux guerres biologiques destinées à fabriquer et commercialiser la maladie à travers des systèmes autoritaires et des réseaux économiques, exploitant la souffrance humaine pour le profit, au lieu de délivrer un message humanitaire.
La véritable question n’est donc pas :
Vivons-nous un choc des civilisations ?
mais :
Qui détient le récit de la maladie et le récit de la santé ?
Retrouver le contrôle de ce narratif, c’est récupérer une part de notre souveraineté civilisationnelle.
**Journaliste libanaise spécialisée dans les études orientalistes et les relations internationales

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