
LE Caire-LePoint-Sofien Rejeb
Dans un monde saturé d’images et de récits concurrents, rares sont les nations capables de faire parler leur passé avec la puissance d’un manifeste contemporain. L’Égypte, avec l’inauguration du Grand Musée Égyptien (GEM) au pied du plateau de Gizeh, réussit cet exercice avec une audace singulière : transformer cinq millénaires d’histoire en levier économique, diplomatique et identitaire.
Ce musée, que la presse a baptisé « la quatrième pyramide », n’est pas seulement un hommage à la grandeur antique. Il est l’expression d’une ambition : celle d’un pays qui entend réconcilier sa mémoire et son avenir, en inscrivant la culture au cœur de sa modernité.
Le génie du lieu et le pari du temps long
Conçu sur plus de vingt ans, financé conjointement par l’État égyptien et le Japon, le GEM incarne l’un des projets culturels les plus vastes de notre époque.
Son architecture, signée par l’architecte irlandais Heneghan Peng, épouse la géométrie du désert. L’édifice semble émerger du sable comme une métaphore de la continuité du temps égyptien : un présent qui ne cesse de dialoguer avec son passé.
À l’intérieur, plus de 100 000 artefacts — dont la collection intégrale de Toutânkhamon — sont présentés selon une scénographie immersive qui rompt avec la muséographie classique. Ici, l’histoire ne se contemple plus, elle se vit ; le visiteur est invité à traverser les ères, de la naissance de l’écriture à la redécouverte du Nil comme matrice de civilisation.
Un événement planétaire et un manifeste politique
L’inauguration du 1er novembre 2025 a réuni 79 délégations étrangères, dont 39 chefs d’État et de gouvernement – un chiffre sans précédent dans l’histoire culturelle contemporaine. Parmi eux, le roi Felipe VI d’Espagne, le président allemand Frank-Walter Steinmeier, la reine Rania de Jordanie ou encore le Premier ministre hongrois Viktor Orbán.
Cette convergence diplomatique illustre la force d’attraction symbolique de l’Égypte, dont le patrimoine agit comme un langage universel capable de transcender les alliances politiques.
Dans son allocution, le président Abdel Fattah al-Sissi a présenté le musée comme « le témoignage vivant du génie des Égyptiens » et comme un « pont entre la mémoire et le futur ». En remerciant le Japon pour son partenariat, il a insisté sur une idée-clé : la culture comme moteur de confiance nationale.
Le musée comme modèle d’économie patrimoniale
Derrière la beauté architecturale, le GEM s’inscrit dans une stratégie de valorisation économique du patrimoine. Autour du site, l’État égyptien développe une infrastructure touristique intégrée : hôtels, espaces de congrès, zones commerciales et routes rénovées reliant le Caire à Gizeh.
Les projections évoquent plus de cinq millions de visiteurs annuels, générant un flux économique inédit dans le secteur du tourisme culturel.
Mais la portée du projet dépasse le simple chiffre d’affaires : il s’agit d’un investissement dans le capital symbolique. Le musée devient une marque, un instrument de soft power et un vecteur de réinvention de l’image nationale – celle d’une Égypte qui ne se contente plus d’exhiber ses trésors, mais qui les transforme en langage de développement.
La diplomatie du patrimoine
Le GEM inaugure une forme de diplomatie de la mémoire. En attirant les dirigeants du monde entier à Gizeh, l’Égypte démontre que la culture demeure un espace de dialogue universel là où la politique divise.
À travers ce projet, Le Caire se réaffirme comme un centre de gravité civilisationnel, capable de fédérer les imaginaires autour d’une histoire partagée.
Dans un Moyen-Orient souvent perçu à travers les prismes du conflit et de l’instabilité, l’Égypte choisit une autre voie : celle de la continuité culturelle comme acte de stabilité politique.
L’identité comme ressource du futur
Au-delà de la pierre et de l’or, ce musée raconte une conviction : celle que l’identité peut être un investissement d’avenir.
Dans un siècle marqué par la volatilité économique et la crise de sens, le GEM propose une autre lecture de la modernité : une modernité enracinée.
Le passé, ici, n’est pas un poids, mais un capital ; l’histoire, non pas une nostalgie, mais une énergie nationale.
Un message au monde
Le Grand Musée Égyptien n’est pas seulement une prouesse architecturale, c’est un récit politique et un symbole de renaissance. Il affirme qu’une nation peut puiser dans la profondeur de sa mémoire pour se projeter vers l’avenir.
À travers cette « quatrième pyramide », l’Égypte rappelle au monde que la grandeur ne réside pas uniquement dans ce que l’on possède, mais dans la manière dont on le transmet.
S.R










