Présentation du livre : « La Généalogie du mal »..Comment l’islamisme moderne s’est-il transformé en fascisme religieux ?

Préparé et traduit par : la journaliste Ornella Sukkar
À une époque où la haine semble être la langue commune des idéologies les plus extrêmes, un ouvrage dérangeant par son audace et sa profondeur analytique nous interpelle. Intitulé « La Généalogie du mal : L’antisémitisme, du nazisme au djihad islamique », ce livre signé par l’historien américain David Patterson, publié par les presses de l’Université de Cambridge en 2011, ne se contente pas de raconter des faits. Il fouille dans les archives sombres du mal humain, suivant des fils tendus d’Adolf Hitler à Sayyid Qutb, de Mein Kampf à À l’ombre du Coran, de Berlin à Bagdad, en passant par Le Caire, Gaza et Téhéran.
Ce n’est pas l’islam qui est visé… mais son détournement
Avant de lever les objections, il faut s’arrêter sur la thèse centrale de Patterson :
« L’antisémitisme présent dans le discours djihadiste contemporain ne fait pas partie intégrante de l’islam. Il s’agit d’une idée moderne, importée de l’Europe nazie puis reconditionnée sous un habit religieux par les mouvements islamistes. »
Par cette distinction, l’auteur oppose l’islam en tant que religion universelle et spirituelle, à l’islamisme comme idéologie politique qui vide les textes sacrés de leur dimension éthique pour en faire des outils de mobilisation et de haine.
Le mufti qui a ouvert la porte au nazisme
Haj Amin al-Husseini, grand mufti de Jérusalem sous le mandat britannique, joue un rôle clé dans cette narration.
L’homme qui s’est assis avec Hitler à Berlin n’était pas, selon Patterson, un simple acteur politique palestinien, mais un relais idéologique, un pont culturel à travers lequel le discours nazi s’est introduit dans le monde arabe.
Dans la lecture de l’auteur, cette rencontre n’était pas anodine, mais un tournant historique, où certains éléments du racisme fasciste ont été greffés au discours religieux, donnant ainsi naissance à un discours islamiste antisémite, non plus politique seulement, mais parfois exterminationniste.
Des camps de concentration aux camps d’entraînement… seul l’ennemi a-t-il changé ?
Le livre établit un parallèle troublant entre les logiques d’extermination nazies et la glorification de la mort dans les discours de certains groupes djihadistes.
Pour Patterson, le culte du martyre – qu’il soit pour le Führer ou pour le djihad – participe d’une même logique : la sacralisation du sacrifice, où l’homme devient instrument, et la mort, rite purificateur.
Un raisonnement qui peut déranger, mais qui soulève une interrogation légitime :
Quand une foi devient-elle une justification pour tuer ?
Et peut-on vraiment transplanter des concepts nazis dans un discours religieux au nom de la résistance ?
Frères musulmans et Qutb : la Shoah réécrite en langue islamiste ?
Patterson ne fait pas dans la demi-mesure : il cite nommément Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans, et Sayyid Qutb, idéologue du radicalisme islamiste.
Le premier, selon lui, aurait été le précurseur d’un discours antisémite islamisé ; le second, celui qui a transformé ce rejet en dogme, prônant le martyre comme voie unique du salut.
L’auteur va jusqu’à comparer les textes nazis qui traitaient les Juifs de « virus à éradiquer » à certains discours contemporains de Hamas ou du Hezbollah, où les Juifs sont désignés comme un ennemi éternel, impossible à coexister.
Les zones d’ombre du livre : entre courage intellectuel et généralisation risquée
Malgré sa richesse documentaire et analytique, le livre soulève plusieurs problèmes méthodologiques :
- Patterson tombe-t-il parfois dans la généralisation ?
Malgré sa volonté de distinguer islam et islamisme, l’association récurrente entre nazisme et islamistes pourrait être interprétée, à tort, comme une accusation globale contre l’islam – ce qui ouvre la porte à une instrumentalisation idéologique par des milieux hostiles.
- L’auteur néglige-t-il les contextes historiques de colonisation et d’occupation ?
En se focalisant sur la dimension idéologique, le livre fait peu de place aux réalités politiques et sociales qui ont conduit certaines sociétés musulmanes à la radicalisation, en réaction à l’humiliation, l’exclusion ou l’oppression.
- Peut-on vraiment comparer le djihad au nazisme ?
Malgré la puissance rhétorique de la comparaison, une lecture critique impose de différencier un projet d’extermination raciale planifié (le nazisme) d’un discours religieux dévoyé, né dans un contexte de conflits géopolitiques profonds.
En conclusion : qui produit le mal ? Et comment migre-t-il d’une civilisation à l’autre ?
La Généalogie du mal n’est pas seulement un livre d’histoire de la haine.
C’est un essai qui la met en procès, qui en traque les mutations culturelles et politiques.
Il pose des questions dérangeantes :
Sommes-nous réellement conscients des discours que nous adoptons ?
Combien de slogans religieux que nous répétons sont en réalité nés dans les ténèbres d’idéologies étrangères à l’esprit de la foi ?
David Patterson nous invite à relire l’Histoire deux fois :
Une première fois pour comprendre ce qui s’est passé
Et une seconde pour éviter d’en rejouer le cauchemar
Car quand la mort devient vertu, et la haine doctrine, peu importe le drapeau ou la langue : l’humanité revient à son point zéro.
1.La Shoah n’est pas un concept issu de la Torah. Il s’agit du nom donné à l’extermination des Juifs d’Europe par le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. En français, le terme utilisé est « Shoah », plutôt que « Holocaust », pour insister sur le caractère spécifique de ce génocide.
2.Le livre examine comment certaines idéologies islamistes contemporaines reprennent des éléments rhétoriques ayant conduit à la Shoah.