
Le Pointtn-Par Sofien Rejeb
Alors que le conflit entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR) entre dans sa troisième année, le pays s’enfonce chaque jour un peu plus dans le chaos. Derrière les appels répétés au cessez-le-feu, c’est l’existence même du Soudan en tant qu’État unifié qui semble désormais menacée.
Des trêves sans lendemain
Depuis avril 2023, les tentatives de médiation se succèdent sans succès. Ni les pourparlers de Djeddah, ni les initiatives de l’Union africaine ou de l’IGAD n’ont réussi à imposer un silence durable des armes.
Le dernier projet de cessez-le-feu, proposé conjointement par Riyad, Le Caire et N’Djamena, vise à créer des couloirs humanitaires et à amorcer un dialogue politique inclusif. Mais sur le terrain, les combats continuent et les populations civiles paient le prix fort d’une guerre où les deux camps cherchent à gagner du temps plutôt qu’à négocier sincèrement.
Un pays en éclats
La guerre a bouleversé la géographie politique du Soudan. La capitale, Khartoum, est aujourd’hui une ville fantôme, divisée entre zones de contrôle rivales. Le Darfour, quant à lui, replonge dans un cycle de violences ethniques rappelant les heures les plus sombres des années 2000.
Dans l’Est, les tensions tribales menacent la stabilité des ports stratégiques de la mer Rouge, tandis qu’au Kordofan et au Nil Bleu, de nouvelles milices locales cherchent à combler le vide laissé par l’effondrement de l’État central.
Cette fragmentation territoriale et militaire alimente la crainte d’une désintégration progressive du pays, sur le modèle du Soudan du Sud en 2011.
Les puissances régionales en embuscade
Au-delà du conflit interne, le Soudan est devenu un terrain de rivalités géopolitiques.
L’Égypte soutient l’armée régulière pour préserver la stabilité à sa frontière sud et sécuriser le Nil, tandis que les Émirats arabes unis sont accusés d’armer les FSR dans le but d’étendre leur influence vers la mer Rouge.
La Russie, de son côté, conserve des intérêts stratégiques dans le port de Port-Soudan et tente de maintenir un pied dans la région à travers le groupe Wagner, malgré la reconfiguration post-Prigojine.
Cette multiplicité d’acteurs rend toute solution interne presque impossible : le conflit soudanais est désormais régionalisé, chaque médiation étant soupçonnée de servir un agenda étranger.
Une crise humanitaire oubliée
Sur le plan humain, la situation est catastrophique. Plus de 10 millions de personnes déplacées, selon l’ONU, et près de 25 millions ont besoin d’aide humanitaire urgente. Les ONG évoquent « la pire crise de déplacement au monde », alors que les financements internationaux s’épuisent et que l’accès humanitaire est quasi inexistant.
Les infrastructures hospitalières sont détruites, la famine guette plusieurs régions, et les maladies se propagent dans les camps de réfugiés au Tchad et au Soudan du Sud. Le pays vit un drame silencieux, loin des projecteurs médiatiques.
Quel avenir pour le Soudan ?
L’hypothèse d’un accord politique global s’éloigne à mesure que le conflit s’enlise.
Les rares voix civiles qui plaident pour un retour à la transition démocratique — comme les Forces de la liberté et du changement ou la société civile regroupée autour de la “Coordination des forces démocratiques” — restent marginalisées par les logiques de guerre.
Le scénario le plus redouté par les diplomates est celui d’un découpage de facto du pays : un Nord sous contrôle militaire, un Ouest milicisé, un Est sous influence étrangère.
Un éclatement progressif qui redessinerait la carte du continent africain et fragiliserait davantage la Corne de l’Afrique.
Entre mirage et survie
Le Soudan se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins :
– soit un sursaut national parvient à reconstruire un État civil fédéral sur de nouvelles bases,
– soit le pays s’enfonce dans une logique de seigneurs de guerre et de protectorats régionaux.
Dans les deux cas, l’enjeu dépasse largement Khartoum : c’est l’équilibre de toute la région qui se joue sur les rives du Nil et de la mer Rouge.




